Eric Chauvier - Contre Télérama

            On commence à lire tout et n’importe quoi sur ce petit livre d’Eric Chauvier au titre polémique. Les Inrocks parlent d’une charge contre la mocheté de la banlieue, dénonçant, soit disant à la suite de l’auteur, un concept plus politique qu’esthétique. Ailleurs encore, on assimile ce l’ouvrage à une véritable étude sociologique rédigée sous forme ludique. Ces commentaires posent la question de la manière dont les journalistes lisent – et présentent – un bouquin, et l’associent à la ligne générale de leur publication en usant d’un biais artificiel, d’une vision orientée non pas par le contenu, mais par le fantasme que l’on s’en fait. Livre alibi limité par son titre racoleur ? Certainement pas. L’intérêt de l’ouvrage est tout autre et ses intentions aussi.

 

            Contre Télérama se veut la réponse à un article de Xavier de Jarcy et Vincent Remy intitulé « Comment la France est devenue moche » paru dans ledit magazine en février 2010, et traitant du développement des espaces périurbains et de leur laideur intrinsèque. Chauvier, professeur d’anthropologie et habitant lui-même un espace périurbain, voit comme un jugement de classe dans les propos de l’article, une manière méprisante de parler d’espaces pourtant choisis comme lieux de résidence par une part non négligeable de la population. Suite à la lecture de cet article, il décide de prendre quelques notes sur son environnement, sur son lieu de vie, de s’interroger sur son habitat à la manière anthropologique. Contre Télérama est le fruit de cette démarche, succession de réflexions sur le quotidien, interrogations sur l’habitat rassemblées sous forme de textes courts (une page tout au plus) et organisées à l’aide de mots clefs.

 

            L’intérêt principal de ce texte est de produire une réflexion anthropologique de l’habitat quotidien, d’un espace dont l’étude dépend plus souvent de l’urbanisme que de l’ethnologie et la sociologie. Chauvier s’interroge sur ses conditions de vie, la façon dont se passent les relations avec ses voisins, avec les gens que l’on croise dans son quartier, en courses… questions passant inaperçues tant elles semblent évidentes – du moins au premier abord. Cette démarche salutaire passe par une phase de description établie grâce à une distanciation du regard. S’ensuit un questionnement et les ébauches de réflexion que celui-ci induit. A terme, le processus permet de répondre à l’article de Télérama non par une réfutation de la laideur de l’espace périurbain – c’eût été trop simple –, mais par un constat : il est impossible – ou trompeur – de limiter celui-ci à des caractéristiques esthétiques, en bref, de le reconnaitre comme un milieu de vie complexe, dont les composantes ne peuvent être considérées séparément, et dont l’aspect fait sans conteste partie, mais uniquement si on l’associe aux pratiques de vie et de sociabilité, à l’organisation de l’espace et au projet global qui sous-tend celui-ci, aux aspirations des habitants... La critique porte donc sur la réduction d’un espace « riche » à sa façade, laide, directement observable, et non une contestation d’une notion de laideur politisée.

 

            Quelles conclusions tire Chauvier de ses observations ? Aucunes. Contrairement à ce qu’affirment certains comptes rendus, nous ne sommes pas dans une étude, mais dans l’évocation d’un questionnement personnel auquel il donne des éléments de réponse. Certes, le discours est généralisé, de manière à refléter la standardisation des espaces visés et à donner à la réflexion une portée plus large, polémique, qui provoque et alimente le discours sur ces zones mal définies (il comprenait que l’adjectif « périurbain » ne désignait rien de précis et, au demeurant, ne désignait pas grand-chose si ce n’était, étymologiquement, la périphérie de la ville ; il s’agissait par conséquent d’une boîte noire ; par contre, affirma-t-il, « l’usage de ce mot est tout à fait clair, il révèle une stratégie destinée à amalgamer ce qui ne saurait l’être – c'est-à-dire nous-mêmes – afin de nous contrôler sans limite »). On retrouve toutefois certains motifs dans les différents textes : un problème permanent de communication entre habitants, voisins etc., un comportement de classes sociales assez marqué, un rapport biaisé avec le centre-ville, un peuplement par strates successives, un lieu en expansion permanente engloutissant en son sein des morceaux inchangés de l’ancien territoire.

 

              En bref, une réflexion riche, un foisonnement d’idées, de pistes et d’anecdotes souvent touchantes, toujours agréablement écrites par un auteur qui sait aussi bien manier la langue que les idées, exposer un point de vue et faire acte de poésie, extraire de la prétendue laideur urbaine et du quotidien, de la grâce, du sens, de la beauté, et peut-être même une manière de mieux vivre; en tout cas en étant conscient du monde qui nous entoure.

 

 

 

Editions Allia – Harmonia Mundi

64 pages – 6,10 €

ISBN : 9782844853769

 

Julien

 

 

 



20/02/2011
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