Martin Page - Une parfaite journée parfaite


Une fois n'est pas coutume, je ne vous parlerai pas aujourd'hui d'un ouvrage de chez Arléa, mais de ce drole de petit opuscule (re)paru récemment dans la collection Points, et trouvé sur l'étagère de l'une de vos librairies.


J'ai eu l'occasion de croiser l'auteur il y a peu, ce fut bref, à peine plus d'une poignée de main, un sourire et un mot gentil, mais il faut bien le dire, ces cinq semaines de stages et les quelques bribes d'expériences précédentes m'ont appris que c'était plutôt rare. D'où mon envie de lire ce type.


Au regard du résumé, nous avons affaire à de l'autofiction. L'argument est rapide: un homme essaie de se suicider toute une journée durant sans se résoudre à passer à l'action. Tout au long des 80 pages du roman, la journée s'effile en ambiance "Perfect Day" de Lou Reed, dans une atmosphère doucereuse, quelque part entre la neurasthénie, l'état dépressif et une rêverie cotonneuse. Une envie de fuir la réalité qui se traduit par une manière fantasque de vivre le quotidien (ainsi, le narrateur raconte comment il a passé ses dernières vacances dans un ascenseur). La journée est méthodiquement racontée, entrecoupée de tentatives de suicide décrites comme si elles passaient dans la tête du narrateur. tout est prétexte : au réveil, sur le chemin du travail, à la pause déjeuner. L'envie s'impose, puis repart. C'est au début assez troublant, mais les idées sont bien amenées et ponctuent """agréablement""" la lecture.


Une postface récente explique l'ambiance et la manière dont a été écrite cette histoire. Martin Page emploie le joli terme d'autofiction imaginative pour qualifier ce travail, et il faut reconnaitre que ça correspond bien à ce qu'il décrit. On se sent proche de ce narrateur évaporé, qui n'est pas sans rappeler les personnages de l'Ecume des Jours (Le narrateur a un requin coincé à l'intérieur du corps).


Ce premier roman reste toutefois brouillon, le style se cherche et alterne entre semi-ratage, formules convenues et fulgurances poétiques impromptues. L'impression de flottement a tendance à s'atténuer par moments, et le rythme est assez étrange, mais les motifs esquissés restent en tête et m'ont provoqué un questionnement pas inintéressant. C'est un roman des failles humaines où la rêverie a tendance à masquer la vacuité d'une existence qui menace de devenir mécanique... Je vous en ai déjà beaucoup dit, à vous de découvrir le reste.


Hop, un petit morceau choisi :
"Il y a un manque. Comme si j'étais amputé de choses qui n'existent pas encore. Il n'y a pas de mots pour décrire ces choses pas encore nées. des gens que je ne connais pas me manquent. Je sais que je les rencontrerai un jour, qu'ils et elles seront mes amis, que j'aimerai cette femme dont l'empreinte spectrale flotte près de moi.

Je suis enceint de ces êtres aimés à venir. Ils sont les fantômes, non pas les fantômes de ceux qui ne sont plus, mais les fantômes de ceux qui ne sont pas encore à mes côtés. Fantômes n'étant pas le bon mot pour parler de ces formes vaporeuses, j'ai inventé le terme émofant. Les émofants, les fantômes de ceux qui ne sont pas encore là.

En médecine, on parle de membres fantômes quant un patient éprouve des sensations du membre amputé. Nous sommes toujours amputés des amis et des êtres aimés que nous ne connaissons pas encore.

Mis à part les fantômes normaux et les émofants, j'ai découvert deux autres espèces de cette famille les antômes et les moinômes. Un fantôme étant l'apparition d'un être immatériel qui n'existe pas ou plus, l'antôme est un être matériel qui existe. C'est à dire que tous les êtres humains sur Terre sont des antômes, dont il ne restera plus trace quelque temps après leur mort. [...]

Enfin, les moinômes sont les spectres de tous nos âges passés, de nos êtres enfants et adolescents, de toutes ces fois où nous avons du mourir  pour continuer à vieillir. Les moinômes sont les portraits de qui nous étions ; les voir donne l'impression de regarder de vieilles photos qui s'animent. Certains ont peur de leurs moinômes, car ils les ont trahis."


Martin PAGE - Une parfaite journée parfaite

Editions Le Manuscrit - réédition Points 2010

113 pages - 5€

ISBN : 978-2-7578-1389-8

Diffusion Seuil


Julien


23/02/2010
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