Rêve funèbre

 

            Il faisait froid ce jour-là… Le jour de ma mort supposée. Je me souviens m'être réveillé en sueur, les draps trempés par cette dernière. Mon rêve, ou plutôt mon dernier cauchemar, s'enfuyait déjà, terrassé par les pâles rayons du soleil d'hiver qui traversait à grande peine mes rideaux rouge sang. Quelques figures symboliques pourtant subsistaient : une araignée écrasée, un scorpion se dégageant de ce corps sans vie, me narguant peut-être. Et l'odeur de la mort… Une prémonition d'un péril caché sous une de mes nombreuses phobies. Je hais les araignées. Et les scorpions ne me plaisent guère non plus.

 

            En sueur donc, je sortis de mon lit double à baldaquins, occupé encore par une femme magnifique, ma femme. Et oui, dans ce monde devenu adultère et bestial, ils restent encore certains hommes fidèles. Diaphane, aux cheveux de jais pur, généreuse dans ses formes, cette callipyge drapée uniquement d'une nuisette aux couleurs de la nuit dormait tranquillement. Quelle innocence dans ce visage d'ange endormi, quel calme, quelle sérénité en comparaison de mon âme déchirée, grimaçante, torturée à l'idée de cette mort imminente qui s'imprimait dans mon regard, sur mon corps, défigurant de manière insidieuse mes traits pourtant si fins, s'insinuant au plus profond de mon être, du cœur jusqu'à l'âme, envahissant mon subconscient, l'univers de mes songes.

            Car c'était bien le message de ce rêve, cela me parut clair tout à coup : j'allais mourir aujourd'hui, même si je prenais toutes les précautions pour l'éviter, tuant l'araignée maligne sans détruire le mal, le véritable responsable, le scorpion. Méphistophélès s'amuse réellement à nous torturer, nous, insignifiants mortels, pour son plus grand et unique plaisir ; je crois qu'il aime jouer avec la création préférée de Dieu, avant de la briser comme un enfant cruel qui réquisitionnerait son jouet à un pauvre enfant malade uniquement pour le détruire. Je crois que c'est à cet instant de ma réflexion que j'ai complètement perdu la foi.

 

            Tel un automate, par l'habitude malgré le sort funeste dont j'étais l'objet, je me suis lavé, ma douche brûlante me glaçant jusqu'à l'intérieur de mes os : rien ne pouvait me réchauffer, moi, chose morte, même plus l'amour inconditionnel et réciproque qui me rattachait à cet être aimé, si loin maintenant de mon âme préoccupée. Je m'habillais de mon plus beau costume quand elle s'est éveillée, me cherchant dans ce lit si froid et humide :

« - Mon amour, dit-elle, où es-tu ?

- Je t'aime ma chérie, répondant soudain à un besoin, une nécessité de dire ces quelques mots une dernière fois.

- Que fais-tu debout à cette heure, habillé sur ton trente et un ? me demanda-t-elle après s'être hissée sur son séant que mes mains adorent caresser. »

Pour toute réponse je m'approchai, l'étreignis fort et l'embrassai comme jamais auparavant, ravivant pour un temps qui me parut une éternité cette flamme du désir déjà irradiante et brûlante comme l'Enfer. Puis je sortis, sans un mot.

« - Je t'aime aussi », murmura-t-elle dans un souffle en me regardant passer le pas de la porte.

 

            Je passais ma journée dehors, attendant l'instant fatal. Il ne voulait néanmoins pas venir. M'étais-je trompé ? Ce n'était après tout qu'un simple cauchemar, mais si criant qu'il me faisait froid dans le dos en y repensant. J'errais ainsi sans but, ne voyant rien ni personne, excepté ce scorpion… Le scorpion.

            Je divaguais encore dans mon cauchemar quand je m'aperçus que la nuit était tombée, et que j'étais perdu dans une ruelle obscure. J'entendis un cri de femme et me précipitai d'un pas mal assuré, sortant pour un temps de ma torpeur.

            La scène était lugubre, teintée d'horreur et suintante de terreur : une femme se débattait, aux prises avec deux hommes décidés à lui arracher ses vêtements afin de la violer, ou pire encore. Mon sang ne fit qu'un tour. Je m'élançai dans la bataille, la rage au ventre, dégoûté de cette société de voleurs, de violeurs, d'assassins ; par surprise, j'attrapai la tête du premier agresseur des deux mains et lui brisai violemment la nuque, les cervicales craquant sous l'effort, essayant vainement de lutter pour conserver leur place initiale. Il tomba net. Le second, se retournant, aperçut, à la faveur de la lune, mes yeux injectés de sang et s'enfuit à toutes jambes. Peut-être finalement avais-je mal interprété mon cauchemar. Toujours bouillonnant, prêt à tuer de nouveau, je m'approchai de la frêle jeune femme, qui, en réponse, se jeta dans mes bras. Quelle créature divine ! A l'opposé de mon âme sœur, grande, blonde, aux yeux d'un gris transperçant, elle avait une beauté froide, presque angélique. Ses yeux me pénétrèrent l'âme, et son teint livide, loin d'être repoussant, ajouta à son regard mélancolique et embué de larmes, un charme qui ne pouvait appartenir à ce monde si noir et si cruel.

« - Merci infiniment, mon héros, me dit-elle d'une voix suave tout en continuant de me dévisager ; Comment pourrais-je vous remercier ?

- Vous n'avez pas à me remercier, répondis-je hésitant, subjugué par cette déesse d'un autre âge. C'est tout naturel.

- Ce n'est pas naturel d'occire un homme et de prendre autant de risques pour une parfaite inconnue. Vous auriez pu vous faire tuer, me lança-t-elle d'un trait de sa voix mélodieuse. Je crois savoir comment vous remercier, murmura-t-elle d'un ton énigmatique. »

Elle s'approcha lentement de moi, son visage se rapprochant de plus en plus près du mien. J'oubliais pour un temps ma belle dulcinée, haletant, attendant un baiser de cette divine créature, impuissant à la repousser. Et c'est à ce moment-là que je l'aperçus. Son médaillon… Le scorpion. Je n'eus pas le temps de réagir. Saisi d'effroi, la belle inconnue fit pivoter ma tête avec une force prodigieuse pour une personne de cette morphologie et planta en un éclair ses canines directement dans ma jugulaire ainsi mise à nue. Avant de sombrer dans la nuit éternelle, j'eus juste le temps d'entrapercevoir sur la nuque brisé du cadavre le tatouage fatidique, l'araignée que j'avais écrasée dans mon cauchemar.

 

Aujourd'hui, quatre cents ans après cette terrible nuit, je suis le dernier de ma race, le dernier vampire encore vivant, et ce pour mon plus grand malheur. Mais l'instinct de survie, cet instinct primaire et animal, est toujours le plus fort, et cette frêle jeune femme se promenant seule dehors durant cette chaude nuit d'hiver l'apprendra à ses dépens. A moins que… 

 

                                                                                                                                                                                                 Paul-Etienne



19/05/2010
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