Un pays à l'aube - Dennis Lehane

 

 

Boston, en cette fin 1918, est l’une des portes d’entrée des États-Unis. Les Irlandais représentent près du quart des habitants, les Italiens sont très nombreux. À la suite dela Première Guerremondiale, les conditions de vie sont difficiles pour les classes populaires. Même les policiers du Boston Police Department sont victimes de l’inflation, et la paupérisation menace une grande partie de la population. Parallèlement, le syndicalisme et l’activisme politique se manifestent de plus en plus bruyamment, au point d’inquiéter les autorités, qui craignent une révolution à l’image celle qui a eu lieu en Russie à peine un an plus tôt.

 

C’est à ce moment que Danny Coughlin, un jeune policier, est chargé d’infiltrer les milieux gauchistes et anarchistes de la ville. Son père, le capitaine Thomas Coughlin, est un des policiers les plus respectés de la ville, symbole de la réussite et du conformisme qu’il défend avec ardeur. Immigré irlandais, il a su s’extirper de la pauvreté grâce à son duo avec le brutal et sans scrupules lieutenant McKenna, son ami d’enfance.

 

Danny prend sa mission à cœur, et infiltre d’abord le « club » socialisant de la police, le Boston Social Club. Il se laisse malgré lui convaincre par les revendications des policiers. L’échec de sa mission le conforte dans ses nouveaux idéaux, et il devient petit à petit la voix du BSC, au grand dam de sa famille.

 

À plusieurs centaines de kilomètres de là, Luther Laurence, un jeune Noir, décide de quitter le chômage de Colombus, Ohio, rallie Tulsa, Oklahoma, où vit la tante de sa fiancée, Lila. Dans cette ville se trouve une des premières banlieues aisées de Noirs, dont le mode de vie de Blanc ne plaît guère à Luther. La vie bourgeoise de sa belle-famille le dégoûte, et il sombre dans la petite délinquance, avant de commettre un meurtre. Obligé de fuir, il se retrouve à Boston, où il est engagé comme domestique par la famille Coughlin. Il se lie bientôt d’amitié avec Danny…

 

Témoignage historique de la ville de Boston, Un pays à l’aube narre tant la ville elle-même que les protagonistes. L’intrigue est faite de telle façon que l’on voit Boston vivre et bouger. Dennis Lehane (auteur notamment de Mystic River, Shutter Island ou Gone Baby Gone, excusez du peu !), Bostonien pur jus, retranscrit ici une des périodes cruciales de l’histoire des États-Unis. Autour des personnages et de la foule anonyme, on croise des célébrités de l’époque et des hommes politiques bien réels, qui influent sur le récit. Babe Ruth d’abord, légende du base-ball, sert de lien entre les personnages du récit, un peu comme si Zidane servait plaque tournante à un récit sur le début du XXIe siècle. Hoover, dirigeant du Bureau of Investigation (le futur FBI) ou John Reed, chef du Parti communiste des États-Unis, se font face. Les politiciens locaux (le maire, le gouverneur, le chef de la police), sont tous bien réels.

 

Surtout, on voit comment la mentalité américaine se met en place, et comment l’idée même de revendications sociales est fermement combattue. Tous ceux qui contestent l’ordre social sont vus comme des ennemis, des traîtres à la solde des Bolchéviques, qui tiennent déjà lieu de repoussoir absolu. Même les peu revendicatifs policiers du BSC, qui ne demandent que l’augmentation de leurs salaires face à une inflation de 70 % en trois ans, sont désignés comme des « rouges » !

L’intrigue trouve son point culminant avec la grève des policiers de 1919, qui a acquit à Boston un côté mythique. C’est d’ailleurs la seule et unique fois qu’une force de police s’est mise en grève aux États-Unis.

 

La grande force du livre est aussi de nous montrer les microcosmes formés par les immigrés et par les gauchistes de tous poils. On est introduit dans les quartiers symptomatiques de la ville, et dans ses méandres par des biais parfois surprenants. On y voit aussi la ségrégation sociale, ethnique et raciale : chaque population ethnique à son quartier, et on fuit toujours le nouvel arrivant. En cette période de changements sociaux et de grand bouleversement avec l’arrivée en masse des femmes et des Noirs sur le marché du travail, les opinions se font plus radicales.

 

Tout ceci présente donc un certain intérêt, et aide à comprendre pour une part l’évolution des opinions politiques aux États-Unis. Le livre est long, mais il se lit facilement. Il offre un point de vue intéressant sur les évolutions du monde contemporain, et les directions différentes qu’il aurait pu prendre. Si certaines trames sont un peu grosses, l’ensemble est malgré tout très homogène et mérite d’être lu.

 

                                                                                                                                              Florian

 

 

 

Dennis LEHANE

 

Un pays à l’aube, Rivages, 2010 (poche)

 

864 p., 10,5 €

 

ISBN : 2-7436-2130-3



15/07/2011
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 10 autres membres