Claro - Ezzelina

Il est des rencontres qui s'imposent comme des évidences, des connivences avec des auteurs dont on pourrait se dire : « ces mots, il les a écrits pour moi », ou mieux encore : « ces mots, j'aurais voulu les écrire ». Un livre est le début d'une piste. Cette expression est un cliché, mais elle peut, parfois, s'avérer parfaitement exacte. C'est ce qui est en train de se produire entre Claro - l'auteur d'Ezzelina- et moi. Découvert il y a un an et des poussières par l'intermédiaire d'un blog d'auteur, le profil atypique de cet auteur/éditeur/traducteur avait commencé à m'attirer, sans que je ne fasse l'effort d'en savoir plus. Et puis il y a les livres qui m'attirent en librairie, des auteurs, américains pour la plupart, qui retiennent mon attention, et la fâcheuse tendance à trouver le nom de Claro à la place du traducteur. Des ouvrages difficiles surtout, ceux réputés « impossibles » à traduire, Pynchon, Vollmann, Danielewski et ses récits fracturés… Bref, là encore, tout aurait pu s'arrêter là, sauf que ledit Claro a publié ses premiers ouvrages chez Arléa et qu'au détour de mon exploration des rayons de la maison, bien décidé à en tirer le maximum et à l'infuser dans ma propre collection, je tombe sur Ezzelina, un petit roman – si l'on peut dire – publié il y a près de vingt ans, et reparu en poche depuis. L'occasion faisant le larron, j'ai saisi ma chance et me suis plongé dans ce petit ouvrage, et là, révélation…

 

La tension étant à son comble après cette étonnante introduction, vous serez certainement curieux de savoir de quoi parle le bouquin, quelles révélations mystérieuses se cachent entre ces pages etc. etc. Je risque de vous décevoir, le contenu de ce livre est, encore une fois, très difficilement descriptible. On devrait plus parler de texte (ou de successions de textes) que de roman puisqu'il n'y a pas d'intrigue. Et pourtant, des personnages récurrents exécutent des suites d'actions qui provoquent des changements, des bouleversements, qui font avancer… quelque chose qui ressemble à une histoire. En fait, la meilleure manière de concevoir l'ouvrage est encore comme une suite d'images, de tableaux, mettant en scène des personnages communs, mais dans des poses tellement différentes que le lecteur doit faire un gros morceau pour raccrocher les scènes les unes avec les autres. De plus, ces scènes sont surchargées d'ornementations baroques de l'écriture au style incantatoire et profondément poétique.

En cent trente pages, Claro laisse se dérouler les péripéties de Guilderstein, l'homme amoureux d'Ezzelina, transformé par sa parole en chien (je vous avais prévenu). On pourra apprendre la vérité (enfin, une vérité) sur la naissance du héros, voir le passé dans la manière dont il manœuvre ses petits soldats de plomb, connaitre le destin du mulet, ce fameux assassin, et savoir qui était l'homme poursuivant le frère de Theresa, le tout dans une ville de Sienne coincée entre le XVIe et le XXe siècle. J'en suis sorti tellement envoûté qu'il m'a fallu le relire tout de suite dans la foulée.

Selon les dires de Claude Pinganaud (mon éditeur en chef, que son nom soit sanctifié), la grande force de ce livre est que le lecteur curieux qui ouvrirait l'ouvrage à la recherche d'une bonne raison pour l'acheter ne pourrait être déçu tant toutes les pages recèlent une image, une formulation, une stance, un argument en faveur de la qualité de ce récit étrange, à mi chemin entre la Tentation de saint Antoine de Flaubert (pour l'imagerie baroque) et les tentatives d'écriture automatique d'un Henri Michaux. Amateurs de poésie contemporaine, d'imprécations mystiques, d'images mythologiques, de récits cryptiques, voire même fantastiques, laissez vous tenter par ce petit livre exigeant qui saura vous rendre satisfaits de l'attention que vous lui aurez porté.

Je vous laisse en juger par vous-même :

            Griffolin (qui ne crois pas à l'âme, par négligence) explique à Guilderstein qu'il a promis de transmettre à l'ambitieux Siennois le secret des oiseaux, le secret de Dédale.

            Pour ce faire, il a construit deux grandes ailes, noires. Ou plutôt cendrées. Il s'agit d'un curieux assemblage de feuilles diaphanes.

            « Les feuilles, dit Griffolin, ont été obtenues à partir de la peau de centaines de cadavres. Des condamnés à mort dont la dépouille est offerte au premier venu. Je les ai moi-même dépecés. Leurs peaux ont séché sur la plage, à la chaleur du soleil ; elles sont à présent légères, transparentes. Elles seules doivent aider l'homme à rivaliser d'audace avec les habitants du ciel. C'est mon secret : l'oiseau ne se sert que de ses plumes, l'homme ne se servira que de sa chair. Tu ne trouveras cela dans aucun livre. »

            Guilderstein écoute en silence. Il regarde les ailes et se demande si les anges sont coupables, s'ils ont arraché la peau des hommes. Un soleil de midi stagne au-dessus d'eux, asséchant imperceptiblement leurs lèvres tremblantes.

 

En matière d'épilogue, j'ai recroisé Claro depuis. Déjà en personne puisqu'il présentait une rencontre à laquelle j'ai assisté, puis, encore chez Arléa, chez lesquels il a sorti un second ouvrage : Insula batavorum ; et finalement sur la table d'un libraire qui proposait l'un de ses derniers récits, paru chez Verticales, au nom irrésistible de Madman Bovary. Le recueil a fini dans mon sac, je vous en reparle très prochainement.

 

Après une critique comme celle-ci, je dois avoir dissuadé beaucoup d'entre vous d'ouvrir un jour un bouquin de Claro… Je suis bien piètre vendeur et, encore une fois, la meilleure des choses à faire reste de mettre de côté tout le verbiage de cet article et d'aller puiser à la source l'information, en ouvrant une page au hasard d'Ezzelina.

 

 

Claro – Ezzelina

Editions ARLEA

131 pages – 7€

ISBN : 978-2-86959-851-5

 

Julien



05/03/2010
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