Le Dieu des Petits Riens, Arundhati Roy



        Ne lisez surtout pas la quatrième de couverture de ce petit bijou, elle ne vous donnera pas du tout envie d'ouvrir ce livre. Et pour cause, il est difficile de résumer ce roman, récompensé par le Booker Prize en 1997, écrit par l'écrivain indienne Arundhati Roy.


        L'intrigue, située dans l'état du Kerala, au Sud de l'Inde, sur fond de révolution naxaliste* raconte un épisode dramatique de l'enfance de faux jumeaux, Rahel et Estha. Leur vie, à jamais gâchée par un crime qui n'est pas le leur, est narrée par petites touches habilement distillées, en partant du point de départ de la catastrophe jusqu'à ses conséquences dans leur vie d'adultes.

La petite Rahel et le jeune Estha, de faux jumeaux séparés de corps mais unis par leur esprit, vivent le temps heureux de l'innocence. L'enfance à Ayemenem, chez leur grand-mère, Mammachi, est celui des découvertes, mais aussi des histoires qu'on se raconte. Entourés par leur mère Ammu, divorcée sans « Statut l'Egale » ; leur oncle Chacko et ses « Besoins Masculins », leur grand-tante capricieuse au nom d'enfant, Baby Kochamma, cet univers familial est celui de l'imagination, de l'incompréhension d'enfants à qui on n'explique rien et qui inventent pour comprendre, pour donner un sens à l'insensé, aux non-dits. Ce temps est également celui du drame provoqué par l'arrivée de la cousine anglaise, Sophie Mol, et par l'amitié avec l'Intouchable Velutha, qui vont réveiller, dans cet univers régi par un système de castes, des désirs inavoués, des peurs refoulées et des rêves irréalistes.

        Pour vous donner envie de lire ce très bon roman, je pourrais écrire qu'Arundhati Roy compose Le Dieu des Petits Riens à la manière d'E.M. Forster, par son attachement à la lutte contre le système des castes indien, à la remise en cause d'une hypocrisie nécessaire (ou pas) au bon fonctionnement de la société. A ses yeux, l'Inde actuelle a perdu son identité pour se plier aux désirs des occidentaux, et que l'Inde traditionnelle est, par son immobilisme et son protocole, l'instigatrice de malheurs et de frustrations. J'ai retrouvé dans sa prose une langueur, une lenteur toutes britanniques, un sens de la contemplation, mais aussi une ironie mordante et sans concessions qui ne serait pas sans rappeler celle de W.M. Thackeray. Je pourrais également vous dire qu'Arundhati Roy sait nous captiver par son habileté à rendre chaque détail signifiant, à faire de chaque événement (aussi minuscule soit-il) un petit rouage qui met finalement en branle la machine infernale, mangeuse d'hommes et annihilatrice de bonheur. Enfin, pour vous donner envie d'ouvrir ce livre, je pourrais tout simplement vous dire que je l'ai aimé, et vous donner un petit extrait pour vous ouvrir l'appétit :

        « Sur le siège arrière de la Plymouth, entre Estha et Rahel, se trouvait Baby Kochamma. Ex-nonne, petite grand-tante en titre. De même qu'il arrive aux malheureux de détester leurs pareils, de même Baby Kochamma détestait-elle les jumeaux, condamnés à n'être que de pauvres épaves, dépourvues de père. Pire encore, ils n'étaient que des moitiés d'hindou, qu'aucun membre de l'Eglise de Syrie n'accepterait jamais d'épouser. Elle était toujours prête à leur faire savoir qu'ils n'étaient (comme elle-même) que tolérés dans la maison grand-maternelle d'Ayemenem, où, de fait, ils n'avaient aucun droit de se trouver. Baby Kochamma en voulait à Ammu de se rebeller contre un sort qu'elle avait elle-même accepté de bonne grâce. Celui de la Pauvre Femme Sans Homme. Celui de la triste Baby Kochamma Sans Père Mulligan. Elle avait réussi à se convaincre au fil des ans que si son amour pour ce dernier n'avait pas été consommé, c'était uniquement en raison de sa réserve à elle, de sa détermination à ne pas sortir du droit chemin. […]

    Les jumeaux étaient trop jeunes pour comprendre, et Baby Kochamma en profitait pour leur reprocher leurs rares moments de bonheur, par exemple quand une libellule soulevait un minuscule caillou sur la paume de leur main, quand ils avaient la permission de donner leur bain au cochons ou qu'ils trouvaient un œuf tout frais pondu. Mais elle leur en voulait surtout du réconfort qu'ils tiraient l'un de l'autre. Ils auraient au moins pu faire semblant d'être malheureux de temps en temps. Ce n'était quand même pas trop demander. » (pp.72-73)

 

    Le Dieu des Petits Riens (The God of Small Things), Arundhati Roy

    Traduction de Claude Demanuelli

    Gallimard, coll. « Folio », 2009

    7,70 €

    ISBN : 978-2070411726

 

Anaïs

 

*Le naxalisme est un mouvement révolutionnaire indien, soutenu par les castes inférieures, visant à instaurer un Etat communiste par une révolution agraire violente, qui a débuté en 1967 et est encore actif actuellement.




06/03/2010
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