Contre l'Architecture - Franco La Cecla

Pourquoi, une fois mes études terminées, n'ai-je pas continué à exercer le métier d'architecte, alors que je m'intéressais aux villes, à l'espace construit et à la manière dont il évolue au fil des générations qui l'habitent. La vérité est que j'ai vite éprouvé une sorte de malaise qui m'a détourné de cette profession. Longtemps j'ai cherché à comprendre les raisons d'un choix qui s'était imposé à moi de façon claire et irrévocable. [...] Tant que les processus mis en place pour comprendre et transformer la ville ne résisteront pas aux coups de génie réformateurs des architectures actuelles, tant que l'on ne reviendra pas à la narration, à l'histoire, à l'horizontalité et à la verticalité existentielle des villes, tout ne sera qu'exercices vains, caprices de soi-disant créatifs, adulés par les Parques de la mode qui viennent les embrasser dans des backstage aseptisés.


     « Le shopping est, selon toute probabilité, l'ultime forme d'espace public subsistante. »

     Cette citation de Rem Koolhass, grande signature de l'architecture actuelle pourrait à elle seule justifier le travail de l'anthropologue Franco La Cecla condensé dans cet ouvrage au titre volontairement provocateur : « Contre l'Architecture ». Architecte de formation, La Cecla a rapidement décidé de ne pas exercer le métier pour lequel il était formé, mais de se tourner vers l'anthropologie culturelle. En Italie et ailleurs, il est surtout connu pour ses travaux sur la séparation et les habitudes de couple (rien à voir avec notre sujet donc), mais aussi pour la création de l'agence ASIA, chargée d'évaluer l'impact des œuvres architecturales sur le milieu social parmi le(s)quel(s) elle s'implante. C'est fort d'un grand nombre d'années d'observation et d'études que La Cecla tire dans son ouvrage une conclusion dramatique : l'architecte ne travaille plus à l'amélioration des conditions de vie de ceux qui vont avoir à se servir de son bâtiment. Plus grave, il ne tient plus compte des réalités sociales de la ville et de l'urbanisme, préférant apposer sa « griffe » sur un territoire. Sous ces propos un peu absconds se cache une réalité cynique : les villes choisissent les architectes qui vont réaliser des monuments en fonction de la signature qu'ils vont poser sur l'espace urbain, quitte à abimer les pratiques des habitants.

     L'ouvrage regorge d'exemples architecturaux qui ont mal tourné en raison de l'égo surdimensionné de créateurs qui se veulent avant tout des artistes, oubliant la vocation même des bâtiments qu'ils construisent : être occupés, investis par l'homme. Histoire de ratages spectaculaires, d'erreurs applaudies par une classe politicienne désireuse de laisser leur empreinte sur la ville (grosse critique de la gestion architecturale de New York et de Palerme notamment).

     Sous l'aspect pointu se cache en réalité un texte qui critique un aspect par trop oublié de la société de consommation, mettant en avant le fait que nous sommes influencés par les lieux où nous vivons, et qu'une grande signature sur un bâtiment est loin de suffire à le rendre utile à la vie en société, et ce qu'il soit musée, habitation ou centre administratif.

     On pourra reprocher à l'essai de La Cecla de rester souvent subjectif, prenant délibérément un ton polémique (il s'en explique dès la préface), très personnel dans ses attaques ; on pourra aussi regretter son côté fouillis (l'homme a tendance à sauter du coq à l'âne). Ce serait toutefois très réducteur. Ce qui m'a avant tout marqué dans cet ouvrage, c'est que l'anthropologue développe une position peu consensuelle. Une voix s'échappe qui évite de ressasser les mêmes clichés sur la vie en société. L'homme a notamment une conception toute particulière de la Banlieue et des espaces interlopes qui, tout en restant éminemment contestable, apporte du neuf à un domaine où les idées tournent trop souvent en rond.


     Le livre devrait être trouvable en librairie sous 15 jours environ ( à Grangier aussi si votre serviteur parvient à convaincre le rayon sciences humaines d'en acquérir), aux éditions ARLEA (tiens…) pour la somme de 15€. Je vous le recommande chaudement, même à ceux d'entre vous qui n'aiment pas les essais, ça se lit bien et c'est plein d'anecdotes dont on ne sait pas s'il faut en rire ou en pleurer. Cet essai est  plutôt "dans l'air du temps", ses interrogations correspondant à celle de l'époque, j'espère qu'il fonctionnera bien, il le mérite amplement.


FRANCO LA CECLA - Contre l'Architecture

Editions ARLEA

175 Pages, 15€ 

ISBN : 978-2-86959-885-0


                                                                                                                                                 Julien



08/02/2010
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