Ermanno Cavazzoni - Les Idiots
N'en déplaise à certains d'entre vous (non, je ne vise personne), acheter un ouvrage parce qu'on trouve la couverture intéressante réserve parfois d'excellentes surprises. J'aurais même tendance à dire souvent, mais en ce moment, il semble que j'aie la main chanceuse quant elle se pose sur un rayon de librairie. D'ailleurs, je ne pense pas être le seul à l'avoir remarqué celui-ci (petit sondage parmi nos amis libraires, je suis sûr que vous l'avez sur une table en ce moment même), avec sa drôle de couverture pointilliste et son grand macaron façon conserve d'autrefois. Bref, une chose bien faite, qui attire le regard immédiatement.
Le livre de ce jour est beaucoup plus facile à expliquer que mes présentations précédentes, ce qui va me faciliter grandement la tache (et la vôtre aussi, vous aurez moins à me lire). En effet, tout est dans le titre, ou presque : Les Idiots (petites vies). L'ouvrage s'organise un peu à la manière des vies de saints puisque, pour chaque jour du moi, un « saint idiot » est présenté par une courte nouvelle (de cinq à dix pages), sauf tous les septièmes jours, où l'auteur propose à chaque fois une série de suicides ridicules : suicides ratés, suicides au travail etc.
Avec un réel talent d'hagiographe, Ermano Cavazzoni présente ici une galerie de portraits toujours grotesques, mais parfois aussi touchants, poétiques, révoltés, inquiétants. L'auteur prend bien soin de rester aux limites du raisonnable. Il n'est pas rare que l'on se dise : « lui, je le connais » ou « tiens, m'étonnerais pas qu'un type comme ça existe réellement ». Les cas d'idiotie les plus inquiétants ne sont pas les plus impressionnants. Au-delà même de ces considérations, il en est une qui s'impose assez vite : la plupart des portraits ne sombrent pas dans le ridicule. Je m'attendais à lire une succession de pochades présentant des cas tous plus invraisemblables les uns que les autres, je m'étais manifestement trompés. Bien sûr, l'auteur jour aussi avec cet aspect de l'idiotie, et le premier portrait en est d'ailleurs un modèle d'école – je n'ai pas pu m'arrêter de rire pendant dix bonnes minutes à la lecture de la vie de Monsieur Pigozzi, expert en aéronautique qui essaie de faire voler sa vieille Fiat – mais pas seulement. Il y a cette femme qui voit des complots partout, on en concevrait presque de la peine pour elle tant sa forme d'idiotie renvoie à un malaise social très actuel. Et encore, on sombrerait presque dans le pathétique avec l'histoire de cet homme qui fait tout bruler sans le faire exprès , ou dans le fantastique avec l'histoire de cette jeune fille en proie à des visions.
La frontière de l'idiotie est ténue chez Cavazzoni, et il n'est pas rare de se demander si l'idiot dénoncé ne serait finalement pas le plus malin… ou le moins bête. La manière dont les personnages extérieurs traitent les idiots sont souvent symptomatiques d'une autre forme de bêtise, plus communément acceptée peut être.
En bref, un petit ouvrage rafraichissant, qui se lit vite et plaisamment. Ce n'est certes pas un chef d'œuvre de la littérature, mais le genre de petite récréation parfaite entre deux lectures plus conséquentes. On pourra aussi le lire ne picorant dedans de temps en temps, l'ouvrage se prête bien à ce rôle d'amuse-gueule.
Pour finir, une petite considération plus générale sur les éditions Attila, certains d'entre vous savent à quel point j'aime ce qu'ils font, en voici une preuve supplémentaire : une belle maquette, un texte peu commun, avec un taux incroyablement bas de coquilles, et surtout une présentation qui n'oublie de mettre en avant ni l'auteur, ni le traducteur, ni le maquettiste. Que dire de plus ?… Lisez le !
Ermanno Cavazzoni – Les Idiots (petites vies)
Editions ATTILA
208 pages – 17€
ISBN : 978-2-917084-13-7
Diffusion Seuil
Julien