Michaël Ferrier - Sympathie pour le fantôme

Michaël, professeur de lettres françaises enseignant à Tokyo est aussi intervenant pour la télévision japonaise , il est notamment chargé de présenter la France lors d’une série de programmes éducatifs. Consulté sur la possibilité de monter une émission ambitieuse chargée de présenter l’identité nationale de la France, il monte le projet de présenter son pays par les marges plutôt que de sacrifier à la grande Histoire de France, celle de la représentation nationale, celle qui part de « Vercingétorix et Clovis et qui va jusqu’à Zidane et Thierry Henry ». Il bâtit donc son idée d’une France qui se crée par ses exclus, par ses figures oubliées, par ses fantômes, en l’occurrence, trois personnes aux origines métissées : le marchand de tableaux Ambroise Vollard, la maîtresse de Baudelaire, Jeanne Duval, et le jeune esclave qui découvrit comment féconder artificiellement la vanille, Edmond Albius.

Troisième Roman de Michaël Ferrier, Sympathie pour le fantôme se présente comme une forme de consécration pour ce professeur d’université tokyoïte de quarante ans, puisqu’il est le poulain sur lequel Philippe Sollers, de par sa collection l’Infini, a parié pour la rentrée littéraire et l’obtention des prix d’octobre. Gros tirage donc après un roman confidentiel publié chez Arléa (Kizu, la Lézarde),  une première publication à l’Infini (Tokyo, petits portraits de l’aube, paru en poche chez Arléa), et une poignée d’essais et d’anthologies.

 

L’ouvrage est bâti autour de deux thématiques qui se répondent. La première, déjà explorée dans les précédentes publications de Michaël, concerne le déracinement et la fascination représentée par le Japon, et la ville de Tokyo en particulier. Itinéraire d’un français qui se retrouve confronté à quelque-chose de radicalement différent, mais dont l’étrangeté se distille progressivement à mesure de sa découverte de la ville, de ses spécificités, de sa poésie. Déjà très présent dans ses petits portraits de l’aube, les ballades nocturnes et explorations de bar à Saké proposent dans cette Sympathie pour le fantôme, une succession de passages éthérés, à la frontière entre rêve et réalité, de ces ambiances oniriques que l’auteur sait sublimer par une prose déliée, une succession de traits qui, à la manière des estampes, révèlent plus que leur simple tracé.

L’autre thématique, celle qui offre sa singularité à cette sympathie, c’est ce fantôme – ce spectre plutôt – qui plane à l’arrière plan du récit, à savoir le débat français sur l’identité nationale qui a empoisonné ces dernières années. Le narrateur y est ramené de toutes parts, par l’organisation d’un colloque universitaire sur les diversités dans la culture française, et par la tentative de produire une émission de télévision qui aborderait la France autrement, une France insoupçonnée, une France de l’altérité, dont l’histoire et l’esprit s’écriraient aussi (d’abord ?) par les petites mains. Cette thématique est d’abord appuyée par la narration critique des différentes étapes de constitution du documentaire télévisé et du colloque universitaire (avec un portrait à charge de celui-ci plutôt amusant, à défaut d’être percutant), passages troublés où un narrateur dans le vague affine progressivement ses idées, passages saccadés au rythme cassé ; puis par l’histoire des fantômes, qui viennent couper la narration, et proposent un style plus dense, plus construit, mais aussi plus poétique, reflétant l’amour de l’auteur pour ces figures qu’il s’approprie par le biais de l’écriture et qu’il érige en figure emblématique. Au final, une expérience de pensée intéressante qui a le mérite de proposer un autre angle de réflexion sur l’identité nationale malgré une certaine confusion, pour part entretenue par le processus littéraire.

 

Le problème de Sympathie pour le fantôme est à mon avis qu’il échoue à être plus que la somme de ses composantes. La réflexion est pertinente, intéressante, l’écriture est très maîtrisée et l’auteur manie une variété intéressante de registres tout en sachant rester simple et compréhensible, certains scènes respirent la poésie, les portraits choisis sont intéressants, voire passionnants (le destin du jeune Albius en premier lieu), mais la mayonnaise ne prend pas. Les ingrédients ont beau être subtils, on s’enferre dans un propos qui tend bien trop souvent dans le consensuel, qui ne mène nulle part ; l’impression découle en partie de la fin ouverte, mais avant même celle-ci, la caricature des milieux universitaires reste facile, devenant presque désagréable de par la propension du narrateur à se montrer suffisant (attention toutefois, si une certaine ambigüité est maintenue entre la personne du narrateur et celle de l’auteur, qui partagent beaucoup, les deux individus restent sensiblement différents). Bref, le tout n’est pas « sublimé », ce qui est d’autant plus dommage avec autant de bonnes choses distillées dans ce roman.

 

Reste une poésie omniprésente, un état de latence et de distance qui se dégage de ce contexte lointain, de ce pays qui ne comprend pas la France et que le narrateur voudrait lui expliquer, pays fascinant tout entier représenté dans la figure de la belle Yuko, idéal féminin ou personnification de l’âme japonaise que Michaël (narrateur) voudrait séduire.

 

Un roman intéressant donc à plusieurs titres servi par une belle écriture, mais qui risque malheureusement de s’oublier vite… Peut-être la marque d’une transition dans les thématiques de son auteur, dans son processus d’écriture personnel… On se tournera plus volontiers vers ses excellents Petits portraits de l’aube pour admirer toute la maîtrise et la poésie de Michaël Ferrier.

 

 

éditions Gallimard, collection « l’Infini » – Sodis

260 pages – 17,90 €

ISBN : 978-2-07-013004-7

 

Julien



05/09/2010
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