Dante n'avait rien vu - Biribi

Je m'en vais prêcher pour ma chapelle en vous présentant, oh privilège, ce petit opuscule pas encore sorti en librairie.

            Lorsqu'en 1929 Albert Londres, reporteur pour le Petit Journal s'embarque pour le Maghreb, il est déjà au sommet de sa carrière. Premier journaliste à pratiquer le grand reportage, ses articles ont un impact sans précédent sur la société et la politique de son époque. Ainsi, lorsqu'en 1924 il rapporte le témoignage des bagnards de Guyane, il contribue à la fermeture de l'un des établissements pénitentiaires les plus durs et les plus rétrogrades de l'époque (pensez, même les geôles mexicaines étaient plus confortables).

Mais Londres ne se satisfait pas de ces premiers résultats et s'embarque pour le Maroc, vers « Biribi », un nom fourre-tout désignant la multitude de camps pénitentiaires militaires disséminés outre méditerranée. Là encore, le constat du journaliste est terrible : conditions de détention scandaleuses, travaux forcés, privations extrêmes, violences faites aux condamnés et corruption des gardiens. Le portrait est critique et, au regard des sévices endurés par les prisonniers, le titre de l'ouvrage prend tout son sens.

            La méthode de Londres est simple. Muni d'autorisations gouvernementales, il regarde et il interroge les détenus. C'est ici que réside sa véritable force : le don de laisser les gens, même les plus endurcis, même les plus méfiants, même les plus dangereux se confier. Ces « pègres », comme ils s'appellent entre eux, si prompts à sortir le couteau, restent complètement désarmés devant cet individu au regard ni complaisant, ni réprobateur, qui sait faire la part des choses entre un châtiment mérité et le comportement lamentable de la hiérarchie militaire. Sous les dures carapaces des détenus, tous ont une histoire tragique que Londres reprend et fait partager, avec une grande pudeur, sans excès aucuns. Parfois, il s'agit d'une longue histoire, comme ce jeune homme, arrêté pour avoir pris le train en fraude entre Grenoble et Lyon ; parfois, quelques phrases suffisent, comme ce détenu qui, après quelques minutes de silence, se contente d'un laconique: « Vous raconterez ce que vous avez vu, hein ? »

            Au-delà du reportage, ce livre est surtout une collection de récits -grinçants, pénibles, touchants, souvent drôles malgré le caractère sombre du sujet- compilés par un maître du genre dans un langage simple et imagé qui devrait convaincre autant les amateurs d'Histoire que de récit littéraire. Tout simplement poignant .

            Et vous pourrez le trouver dans toutes les bonnes librairies à partir du 11 février pour la « modique » somme de 8 euros, en collection de poche aux éditions ARLEA bien entendu.


Julien

Dante n'avait rien vu
ISBN :
978-2-86959-886-7
176 Pages, 8€
(diffusion Seuil)


02/02/2010
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