Nick Tosches - Confessions d'un chasseur d'opium
Voici une critique un peu ancienne, que j'avais posté ailleurs. Comme je n'aime pas gâcher, je la remet ici avant de proposer des choses un peu plus récentes.
Voici un petit bouquin très court publié par les merveilleuses, les formidables éditions Allia
Il ne s'agit ni d'un roman, ni de poésie, mais bien d'un récit à mi chemin entre le grand reportage et la quête initiatique. Tosches, journaliste réputé trainant dans les milieux Rock de New York se met en quête de l'opium, drogue devenue rare suite à une chasse particulièrement acharnée depuis le début du XXe siècle. Animé par un esprit romantique, il s'embarque dans un périple qui le conduira de New York au fameux Triangle d'Or (région asiatique où se cultive le pavot, la fleur d'opium), en passant par Hong Kong, Bangkok et Phnom Phen.
La grande force de ce récit, outre de développer dans une version moderne l'image romantique que véhiculent les fumeries d'opium est qu'il sait faire l'apologie de la substance, de la tradition qui l'entoure et de toutes ces petites subtilités dégagées par le cérémonial de la pipe d'opium sans tomber dans la facilité, genre "legalize mon frère". Ce n'est pas du tout le propos. Car la recherche de l'opium est une quête tant intérieure qu'extérieure, une alchimie personnelle qui aboutit à certaines révélations.
En plus c'est très bien écrit (ce qui ne gâche rien...) dans un style très direct, parfois percutant dans le choix des mots, dans la manière de décrire ses idées, une certaine vision blasée de la société moderne et ses abus. Bref, un récit passionnant et très rock n'roll, jamais outrancier, tout en ressenti.
Allez, petit extrait tiré du début du bouquin, en préambule au récit à proprement parler:
"Nous vivons dans un temps de pseudo-connaissance, par quoi nous nous efforçons vaniteusement de nous distinguer de la médiocrité ambiante. S'asseoir autour d'une bouteille de jus de raisin rance et évoquer de délicats arômes de groseille, de fumée de chêne, de truffe, ou n'importe quelle autre gracieuse ineptie que l'on croit découvrir dans le goût de cette piquette, c'est être un cafone de premier ordre. car s'il y a un délicat arôme à découvrir dans n'importe quel vin, ce sera vraisemblablement celui des pesticides et des engrais. [...]
Comment un nez aussi sophistiqué peut-il ne pas détecter la bouse de vache avec laquelle les propriétaires de ce bordeaux si réputé fertilisent leur vin? Un véritable connaisseur en matière de vins, si une telle chose pouvait exister, reconnaitrait principalement le goût des pesticides et des engrais: il ne serait pas un goûteur de vin, mais bien plutôt un goûteur de mer**. La seule connaissance qui vaille en matière de vin est celle des gens qui savent que la véritable âme du vin, c'est le vinaigre. C'est en buvant d'un trait ces rares vinaigres d'un grand âge étiquetés da bere que l'on goûte véritablement des merveilles : le vrai truc, à mille lieues de ce jus de foutaises industriel enrobé d'épithètes prétentieuses. C'était autrefois la boisson noble et sans apprêt des paysans nobles et sans apprêt -des paysans bien plus nobles et compétents que ces connards bourrés de fric qu'on escroque en leur faisant croire que le vin appelle d'autres commentaires que "bon", "mauvais", ou "ferme ta gueule et bois un coup". "
Autant dire que ce n'est pas qu'aux buveurs de vin que la critique s'adresse...
En plus, c'est pas long (une heure de lecture, deux pour ceux qui lisent lentement), donc parfait pour un trajet en train. Et en plus, c'est un petit objet très élégant, pratique, avec une belle couverture glacée noire et bleue.
Pour finir quelques liens pour en savoir plus sur Nick Tosches:
Le site officiel de l'auteur : http://nicktosches.com/
et le squelettique wikipedia français : http://fr.wikipedia.org/wiki/Nick_Tosches
Julien