Thorne Smith - Examen critique de la pétrification

           La chronique de ce jour me servira doublement de prétexte. Tout d’abord, mon programme de lecture du moment étant à nouveau particulièrement chanceux, il s’agira de vous faire découvrir une de ces petites pépites qui vous passent sous le nez sans qu’on y prête attention. Seconde raison, Cette perle est le fruit du travail de personnes éminemment sympathiques et compétentes quoiqu'encore trop méconnues. Avec ça, j’espère que je vous aurai mis en condition pour la suite, il s’agit de provoquer chez vous un désir compulsif d’achat, ce genre de lubie qui vous prend au réveil, juste avant le bol de céréales et qui vous dit : « Comment puis-je encore vivre sans avoir acheté L’Examen critique de la pétrification ? ». Voici donc, je l’espère, quelques bons arguments.


            L’objet déjà, est particulièrement bien édité. Production des éditions de l’œil d’or (un autodiffusé qui ne demande qu’à travailler avec toi, ami libraire !), la chose se présente sous la forme d’un ouvrage en hauteur, proposant au regard du chaland une magnifique gravure de couverture aux teintes vertes et noires. Le reste de la couverture est habillé d’un ravissant manteau lie de vin. Bonne prise en main, bon poids, c’est suffisamment rare pour être précisé, nous nous trouvons là devant le genre d’objet dont la prise en main est optimale : ni trop lourde, ni trop épaisse, avec des pages qui se tournent bien et une reliure qui ne s’abime pas.

             Ces considérations esthétiques passées, attaquons dans le vif du sujet. Thorne Smith est un auteur américain des années trente, relativement discret, qui a officié dans un genre burlesque assez proche de celui d’Harold Lloyd ou des Monty Python (comme l’indique justement la couverture). En fait, la seule réussite du bonhomme est un bouquin intitulé Bewitched, d’où est tiré la série Ma sorcière bien aimée. NON, NE PARTEZ PAS !! La lecture de L’Examen critique de la pétrification risque de vous causer un choc si vous vous attendez à un truc fadasse avec de gentilles blagues et une famille de sorciers toussa toussa. Le propos de Thorne Smith est autrement plus corrosif, d’autant plus lorsqu’on replace son histoire dans le cadre de la prohibition.


            Examen critique de la pétrification invite à découvrir l’histoire d’Hunter Hawk, un savant loufoque, réservé et affublé d’une famille plus qu’agaçante qui découvre un « rayon » qui permet de pétrifier/dépétrifier les gens à volonté. Accompagné de sa nièce Daffy, seule rescapée d’une famille épouvantable, il s’en va essayer sa découverte sur sa famille et le voisinage. En chemin, il fait la connaissance de Megarea, une femme korrigan qui décide d’en faire son homme. Bousculant les préceptes de la société bienpensante de la banlieue de New York qu’il habite, il châtie tous les ennuyeux qui lui ont un jour causé du tort : le pasteur, les grands bourgeois, sa sœur etc. Le point culminant voit Hunter, la femme korrigan, la nièce et un quatrième comparse débouler en pleine réception mondaine pour un numéro de désordre hallucinant, propre à rendre n’importe quelle pièce de boulevard fadasse. Tout aurait pu s’arrêter là, par la pétrification de quelques petits bourgeois, divers excès alcooliques et une scène de nu grandiose. C’était mal connaitre Smith qui inflige à Hunter une descente aux enfers bien plus virulente. Tout le monde se retrouve à New-York lors de la seconde partie de l’ouvrage, ville dans laquelle Hunter se propose de dépétrifier les dieux olympiens du museum. La suite, vous l’imaginez : désordre, alcool, course poursuite, situations gênantes et bien plus encore, de quoi vous occuper quelques soirées.


            Soyons clair : le propos un peu fouillis de Smith et l’enchainement de péripéties ne sont qu’un prétexte et, aussi distrayant soit déjà le bouquin si on le lit au second degré, on passe à côté du principal, à savoir d’une réflexion sur le vice comme moteur profond de l’homme. L’examen critique voit s’affronter deux camps : Hunter, ses comparses et les dieux de l’Olympe qui sont les « vrais vicieux », ceux qui pratiquent le vice de manière naturelle, sans ostentation ni pudibonderie, en bref, des individus qui assument complètement leurs envies de dépenser sans compter, de boire et de baiser sans en faire toute une montagne, sans se gêner ni s’afficher. En face, tout le reste de l’humanité, une bande de coincés ne pratiquant la vertu que pour rendre le vice encore plus excitant, ou inversement, tombant dans le vice pour mieux souligner la vertu. En bref, le monde des apparences contre les spontanés. Entrecoupant les péripéties, Smith glisse donc sa réflexion et termes plus qu’intéressants, illustrant par le grotesque, par l’excès situationnel ses idées : pas de compromis, ni dans le vice, ni dans l’écriture. Une lecture assez saine sur le plan moral qui peut receler quelques éclaircissements aux plus indécis d’entre vous, qu’ils soient flagellants ou débauchés.


            J’attire votre attention sur une sensibilité qui m’est propre et que l’ouvrage a considérablement décalé. Je n’avais jusqu’alors pas ressenti de grand élan pour la littérature humoristique. C’était quelque chose qui ne me touchait pas vraiment, à l’exception de quelques textes de Twain (que vous trouverez aussi aux éditions l’œil d’or dans de somptueuses traductions ou [instant auto promo] aux éditions Arléa sous forme d’un recueil d’aphorismes), quelques textes de Desproges et une ou deux autres choses variées. Thorne Smith dépasse la simple littérature humoristique pour proposer une histoire totale, une histoire qui laisse la place entre ses grossières péripéties à un vaste champ de réflexion, mais aussi à de grandes plages d’émotion : au-delà du vice, c’est notre rapport à l’amour qui est interrogé. Le mélange est parfait et il me semble que cette réussite est due à la traduction particulièrement enlevée de l’ouvrage. Elles ne sont pas si courantes ces traductions qui laissent passer un réel souffle, comme quelque-chose émané de la langue originelle, un sens de la formule propre à la langue anglaise, des tournures dynamiques, résolument quelque-chose entre Fitzgerald et les Monty Python !

 

En résumé, une histoire à découvrir, un auteur à découvrir, une maison d’édition à découvrir. Le bouquin est impeccable, pas une coquille, pour une fois, pas la moindre chose à redire. En plus, le tout est joliment agrémenté d’une quinzaine de gravures au style naïf répondant bien au ton de l’ouvrage. Amis libraires, à placer sur vos tables d’urgence, amis lecteurs, à lire d’urgence amis bibliothécaires, à commander d’urgence !

 

Pour la peine, je ne vous mettrai pas d’extraits, je me suis suffisamment attardé comme ça, vous n’aurez qu’à découvrir par vous-même !

 

Pour plus d’infos sur l’éditeur, suivez le guide !

 

Ah, et pour les parisiens, L’œil d’or sera tout le week end avec la librairie éphémère, devant le MK2 Quai de Loire (Métro Jaurès), une bonne occase pour découvrir les autres productions et tout un pannel d’éditeurs sympas dans un genre alternatif !

 

Thorne Smith - Examen critique de la pétrification

traduit de l'anglais (américain) par Anne-Sylvie Homassel

Editions l’œil d’or – autodiffusion

300 pages – 20 €

ISBN : 978-2-913661-35-6

 

Julien

 

(edit : orthographe)



07/07/2010
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